Les brûlures chimiques oculaires en milieu professionnel sont relativement fréquentes. De plus en plus d’entreprises mettent à la disposition de leurs salariés des solutions de décontamination à la place de rince-œil fixes raccordés aux réseaux d’eau. Que penser de ces liquides de décontamination ? Que prévoit la réglementation ? Ce qu’il faut savoir avant de choisir des équipements de secours.
Introduction
Les laveurs oculaires ou rince-œil complètent mais ne remplacent pas les mesures de prévention techniques. Les règles d’utilisation et d’entretien devraient être expliquées systématiquement durant la formation risque chimique obligatoire des salariés. Les projections de produits chimiques dans les yeux peuvent être particulièrement graves. Dès lors, le choix des premiers soins en cas de projection oculaire est crucial et soulève de nombreuses questions : Le lavage à l’eau est-il la méthode la plus adaptée ? Les liquides de décontamination vendus dans le commerce sont-ils réellement plus efficaces ? Que prévoit la réglementation ? Tout ce qu’il faut savoir avant de définir un protocole de secours.
Les brûlures chimiques oculaires
Les brûlures chimiques sont des nécroses cellulaires. Les accidents, lorsqu’ils surviennent en milieu industriel, sont souvent plus graves car les produits sont généralement plus concentrés.
Les produits chimiques acides
L’acide va former un complexe avec les protéines du stroma cornéen. Ce phénomène va retarder l’entrée de l’acide. Les dommages sont relativement faibles lorsque le pH du produit chimique est > à 2,5 (acide faible ou dilué).
Lorsque le pH est inférieur à cette valeur (acide fort ou concentré), les dommages sont potentiellement très sévères.
Les produits chimiques alcalins
Un alcalin réagit avec les acides gras par une réaction de saponification. Ce phénomène détruit la membrane cellulaire et le produit pénètre rapidement et profondément, d’abord dans le stroma, puis dans la chambre antérieure de l’œil. C’est la raison pour laquelle les brûlures avec des bases concentrées sont généralement plus sévères qu’avec des acides concentrés.
Conduite à tenir en cas de projection dans l’œil
En cas de projection oculaire, il faut rincer les yeux immédiatement et abondamment, même en l’absence de douleur.
Pendant le rinçage, les paupières doivent être maintenues ouvertes. Par réflexe, les victimes ont tendance à fermer les yeux. Il faut retourner complètement les paupières afin d’éliminer les résidus éventuels. Le rinçage doit durer au minimum 15 à 20 minutes, jusqu’à l’arrivée des secours. Les 30 premières secondes sont déterminantes. L’objectif est d’éliminer complètement le produit chimique et de refroidir la blessure.
Dans tous les cas il est indispensable de demander un avis médical en précisant la nature du produit chimique (produit acide, basique, solvant, huile, etc.), fournir la FDS ou à défaut montrer l’étiquette du produit.
Normes applicables aux douches oculaires raccordées à un réseau d’eau
Il existe plusieurs normes applicables aux équipements d’urgence.
Norme EN 15154-2 : Douches de sécurité – Partie 2 : unités de laveurs d’yeux raccordés au réseau d’eau
Cette norme s’applique aux équipements destinés à être installés dans un laboratoire.
Elle définit les exigences de performance des unités de lavage d’yeux de sécurité utilisant de l’eau. Elle s’applique uniquement aux unités de lavage d’yeux raccordées au réseau d’eau. La norme précise les performances, règles d’installation, réglage, marquages. Enfin, elle définit le contenu de la notice du fabricant (instructions d’installation, de fonctionnement et de maintenance…)
Norme NF X15-221 : Douches de sécurité – Douches pour le corps raccordées de façon permanente au réseau d’eau et utilisées ailleurs que dans les laboratoires
Cette norme spécifie les exigences de performances des douches de sécurité pour le corps raccordées au réseau d’eau, destinées à être utilisées sur des sites industriels ou dans des endroits autres que les laboratoires. Il précise également les exigences applicables aux douches combinées comprenant un laveur d’yeux. Il spécifie les performances minimales, les exigences de conception pour l’installation, l’utilisation, le marquage, l’aptitude au nettoyage ainsi que les instructions de sécurité pour les utilisateurs :
Qualité, température et efficacité de l’eau (pression et distribution)
Délai d’obtention du débit nominal
Douches combinées comprenant un laveur d’yeux
Douches combinées à une douchette d’appoint
Espace libre
Matériaux et géométrie
Système de déclenchement
Diffuseur
Marquage, étiquetage, installation, utilisation et maintenance
Notice d’instruction
Recommandations pour la température de l’eau, la qualité de l’eau, l’installation et l’aptitude au nettoyage
Source : AFNOR
Exigences générales de conception et installation des laveurs oculaires
Les exigences générales sont les suivantes :
- La température de l’eau doit être tempérée (entre 15 °C et 25 °C) afin de favoriser le refroidissement des tissus et éviter l’inconfort de la victime (qui conduit à un arrêt précoce du rinçage, par exemple en cas d’hypothermie).
- Le lave-œil est muni d’une manette visible et facile à actionner (activation en moins d’une seconde).
- L’équipement est situé dans un endroit propre, bien éclairé et éloigné des installations électriques.
- L’équipement doit être situé à proximité de la zone de danger (moins de 10 secondes en marchant ou moins de 8m en zone dangereuse). Cette distance est une recommandation qui est adaptée à chaque entreprise.
- Le laveur oculaire est conçu de façon à distribuer le liquide aux deux yeux simultanément, à un débit d’au moins 15 litre/minute, pendant 15 minutes.
- La pression délivrée par l’équipement ne doit pas endommager les yeux.
Les laveurs oculaires doivent être testés et entretenus régulièrement : contrôle visuel hebdomadaire et activation, entretien préventif mensuel (selon la notice d’instruction) et entretien complet annuel.
Les douches oculaires autonomes (rince-œil portatifs)
Norme NF EN 15154-4 : Douches de sécurité – Partie 4 : unités de lavage d’yeux non raccordées au réseau d’eau
Ce document concerne les unités de lavage d’yeux de sécurité, non raccordées au réseau d’eau et remplies de fluide de rinçage par le fabricant. Il indique les performances attendues : efficacité, qualité du fluide de rinçage, débit, réservoir du fluide.
Les unités de lavages décrites sont les unités à usage unique, usage multiple, les unités reconditionnables.
La norme précise aussi l’étiquetage, le marquage et les informations à fournir par le fabricant.
Avantages et inconvénients des rince-œil portatifs
Si l’œil est atteint, rincer à l’eau (ou avec un fluide de rinçage) de préférence avec un rince œil, abondamment en maintenant l’œil ouvert pendant au moins 15 minutes.
Les rince-œil portatifs ne permettent pas de respecter la durée de rinçage préconisée. Leur usage doit systématiquement être complété par un rinçage à l’eau courante.
Les laveurs oculaires autonomes, présentés sous forme de flacons munis d’un embout qui épouse le contour de l’œil
Ces bouteilles ont une contenance limitée (souvent moins d’un litre). La durée de rinçage est comprise généralement entre 2 minutes à 5 minutes. Ils ne permettent de laver qu’un seul œil à la fois. De plus, il est difficile de maintenir l’œil ouvert tout en tenant la bouteille. Par conséquent, ces bouteilles ne peuvent se substituer aux laveurs oculaires précités et leur usage doit être prolongé avec un laveur oculaire de capacité suffisante.
Certaines bouteilles vendues dans le commerce contiennent des solutions stériles salines (contenant de Chlorure de sodium) isotonique ou des tampons phosphate qui ont un effet neutralisant. D’autres bouteilles sont vendues vides. Elles sont remplies par de l’eau du robinet. L’eau devra être remplacée périodiquement afin d’éviter la prolifération bactérienne.
Conservateurs présents dans les solutions de rinçage : respectez les dates de péremption
La présence d’amibes pouvant provoquer de graves infections oculaires a déjà été constatée dans des flacons périmés. Il est donc indispensable de respecter les dates de péremption.
Attention : l’eau n’est pas toujours le liquide de rinçage le plus adapté
« Dans de rares cas, en fonction du produit chimique impliqué, l’eau peut être inappropriée. Il faut se reporter aux informations figurant sur l’étiquette et la fiche de données de sécurité. » Source : INRS
Pour connaître les antidotes, il faut se référer à la fiche de données du fournisseur et consulter le médecin du travail.
Solutions de décontamination « amphotères » contenant des « substances actives »
Les avis concernant ces liquides de rinçage sont très partagés, et les médecins sollicités soulignent les éléments suivants :
- Une composition inconnue
- Très peu d’études cliniques
- Un manque d’études indépendantes
Le rapport d’étude DMT 70 TF73 intitulé « évaluation de l’efficacité des premiers soins lors de projections de produits chimiques » conclut à des données insuffisantes permettant de privilégier l’utilisation de ces solutions actives au classique rinçage à l’eau, par manque de données statistiques.
Diphotérine : avis du centre antipoison de Lyon
Le Centre Antipoison et de Toxicovigilance des Hospices Civils de Lyon a émis l’avis suivant :
« Effectivement, à l’heure actuelle, il n’y a pas de véritable essai clinique prouvant une efficacité de la diphotérine mais uniquement une série de cas rapportés. Nous préconisons donc un rinçage abondant à l’eau. Dans certains cas, cet accès étant impossible, il peut être effectivement préconisé de commencer sans délai un rinçage à la diphotérine à compléter à l’eau dès que possible de notre point de vue ».
Enfin, le site Atousanté a communiqué l’avis du Profeseur Testud, médecin toxicologue hospitalier et médecin du travail, Centre de Toxicovigilance-Centre antipoison, Hospices Civils de Lyon, dans un article publié sur le site de l’association.
Très peu d’études cliniques, les seules pertinentes pour juger de l’efficacité de la solution en situation réelle (et non dans une éprouvette de chimiste) ont été réalisées; les informations disponibles émanent toutes du laboratoire fabricant et jusqu’à une date récente, n’étaient pas publiées dans des revues à comité de lecture.
(…) Au total, même si la Diphotérine® n’est pas délétère en elle-même, les preuves de son efficacité sont absentes : son emploi expose donc à une décontamination insuffisante de la brûlure, à un pronostic potentiellement aggravé et à de possibles séquelles.
Il faut cependant noter que les avis médicaux sont partagés. Le choix de la solution la plus adaptée revient au médecin du travail.
Consultez le médecin du travail pour élaborer de la procédure de secours
Le protocole de secours établi après avis du médecin du travail
Le protocole précis d’organisation des secours en cas d’accident ne peut être élaboré sans l’avis du médecin du travail :
« En l’absence d’infirmiers, ou lorsque leur nombre ne permet pas d’assurer une présence permanente, l’employeur prend, après avis du médecin du travail, les mesures nécessaires pour assurer les premiers secours aux accidentés et aux malades. Ces mesures qui sont prises en liaison notamment avec les services de secours d’urgence extérieurs à l’entreprise sont adaptées à la nature des risques.
Ces mesures sont consignées dans un document tenu à la disposition de l’inspecteur du travail. »
Source : Article R. 4224-16 du Code du travail
Attention
- Un employeur qui décide seul du traitement approprié, sans consulter le médecin du travail, engage sa propre responsabilité.
- Même en l’absence de tout symptôme, la victime d’un accident doit être prise en charge. Certains produits peuvent agir à retardement…
- Ne jamais utiliser une douche de sécurité portative ou une douchette en cas de projection oculaire. La pression de l’eau pourrait endommager les yeux.
Signalisation des équipements de secours
La signalisation relative à la santé et à la sécurité au travail
Pictogramme rince-œil : un marquage obligatoire
Le matériel de premiers secours fait l’objet d’une signalisation par panneaux conformes à l’arrêté du 4 novembre 1993 pour la signalisation de sécurité et de santé au travail (modifié).
La signalétique de secours du lave-yeux de sécurité doit être conforme à la norme ISO 7010 – E011.
Formation du personnel aux premiers secours
- Le personnel et les SST doivent être formés au protocole de secours et à l’utilisation des équipements d’urgence. A cet effet, on pourra, lorsque la date de péremption des liquides de rinçage est imminente, utiliser ces derniers pendant les exercices périodiques organisés dans l’entreprise.
- Afin d’éviter toute erreur et perte de temps le jour de l’accident, il est recommandé d’utiliser des systèmes de secours identiques dans une unité de travail.
Bibliographie
- Atousanté : Ce site d’information en santé au travail publie un article rédigé par le Docteur François Testud, médecin toxicologue hospitalier et médecin du travail, Centre de Toxicovigilance – Centre antipoison, Hospices Civils de Lyon.
- DMT 70 TF 73 : Evaluation de l’efficacité des premiers soins lors de projections de produits chimiques
Lire aussi :
- Evaluer le risque chimique en 4 étapes.
- Les dangers des produits chimiques : L’essentiel à retenir.
- Porter ses EPI (Equipement de Protection Individuelle) : Quelles obligations pour le salarié et l’employeur ? L’essentiel à retenir.
- Comment stocker un produit chimique en toute sécurité ? Découvrir la fiche pratique consacrée au stockage des produits chimiques.
- Valeur Limite d’Exposition Professionnelle : Définition et obligations de contrôle. Ce qu’il faut retenir.
- Former le personnel du laboratoire aux risques chimiques
- Former les intervenants de chantier au risque plomb
- Formation aux agents CMR (cancérogène mutagène reprotoxique)
- Se former aux Fiches de Données de Sécurité
- Se former au risque amiante SS4 (sous-section 4).
- Former le personnel aux Atmosphères Explosives.
- Que signifient les pictogrammes des produits chimiques ? L’essentiel à savoir sur les symboles chimiques.
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